Une tribune demandée par l’ASH à la présidente de l’AFrESHEB, suite à notre lettre ouverte aux sénateurs français. La voici in extenso.
Franco-Belge, je suis maman d’un enfant (aujourd’hui un jeune homme) autiste. Lorsque j’ai vu les progrès réalisés par mon fils dans l’enseignement spécialisé puis intégré en Belgique, je me suis engagée à la fois dans l’associatif belge et français pour tenter de redistribuer la chance que ma famille a reçue.
Étant naturellement une personne ressource pour les associations et les responsables politiques des deux pays, du fait de mon implantation en Belgique et ma connaissance des deux systèmes, la nécessité d’une association représentative dédiée aux Français et sous législation belge m’est assez rapidement apparue.
C’est pour cela qu’en 2017, j’ai fondé L’Association pour les Français en situation de handicap en Belgique (AFrESHEB ASBL en abrégé) que je préside encore aujourd’hui.
L’AFrESHEB a pour buts d’informer et de défendre les intérêts des Français en situation de handicap en Belgique et leurs familles, les représenter dans les groupes de travail officiels, belges et français, auprès des institutions de défense des droits locales, régionales, nationales et internationales, des ministères, administrations et autres organismes concernés.
Aujourd’hui, environ 7500 adultes et 1500 enfants Français sont hébergés dans des établissements belges conventionnés avec la France et/ou des départements français. 1000 petits transfrontaliers font l’aller-retour tous les jours entre leur domicile et l’enseignement spécialisé belge, et 500 sont hébergés dans les internats publics scolaires spécialisés.
Ce sont donc plus de 10 000 familles françaises qui sont concernées par ce fait.
Ce n’est pas seulement le manque de places en France qui est à l’origine de cette mobilité vers la Belgique, mais aussi un savoir-faire différent, plus porté sur l’éducatif et le potentiel des personnes, moins médical.
Il y a aussi beaucoup moins de complications administratives pour ouvrir un établissement en Belgique. Et le retard est si grand dans un département comme la Seine Saint-Denis que, même si le département triplait son offre, en 5 ans, il arriverait tout juste à répondre à l’évolution démographique de la population en âge d’être bénéficiaire, sans combler son retard.
Nombre d’associations françaises gestionnaires ont souvent dénoncé cet « exil ». En février 2021, le gouvernement français a décidé d’un moratoire des places pour les adultes français en Belgique, les limitant aux places alors occupées.
Il s’ensuit un double étranglement :
- le turn-over naturel de libération de places dans ces établissements est de 200 par an. Dans le même temps, ce sont 550 demandes qui arrivent. Autrement dit, ce sont 350 familles qui « restent sur le carreau ».
- Les adultes français se voient aussi imposer de rester en établissement pour enfant en France, selon les termes de l’amendement ex-Creton. Or, les enfants qui doivent rentrer dans ces établissements restent alors sans solution.
Logiquement, et tant que les solutions équivalentes ne seront pas apportées en France, l’AFrESHEB demande la suspension de ce moratoire.
Par ma double casquette franco-belge, j’ai représenté les usagers lors de l’arrêté wallon de 2018 rehaussant drastiquement les normes des établissements accueillant les Français.
J’ai aussi représenté les usagers lors du référentiel qualité de l’AVIQ (Agence pour une Vie de Qualité), qui délivre l’autorisation d’ouverture aux établissements accueillant des personnes étrangères et qui subventionne les établissements pour les Belges.
Aujourd’hui, les normes, les mesures et fréquences des contrôles des établissements belges sont bien plus élevées que celles des établissements français, bien éloignées des dérives « d’usines à Français » que la Wallonie a connu.
Il reste bien sûr des établissements dysfonctionnels, notamment les établissements dits « pirates », c’est-à-dire des établissements sans autorisation d’ouverture, ni agrément, qui accueillent une population belge et parfois française paupérisée, souvent souffrante de handicap psychique et/ou d’addictions. Là encore, l’AVIQ travaille à établir des normes.
Sous un gouvernement français précédent, en 2016, il avait été établi un moratoire pour les enfants, lui aussi se limitant aux places occupés dans les établissements médico-sociaux (IMP, Institut médico- pédagogique). Mais les enfants ont d’autres solutions : la scolarisation spécialisée sans hébergement, ou bien avec un hébergement dans un internat scolaire spécialisé, comme indiqué plus haut.
Régulièrement, les familles font part à l’AFrESHEB de tracas administratifs inadmissibles (et illégaux) :
- Refus d’orientation en Belgique par les MDPH (Maisons départementales des personnes handicapées), refus par les CPAM (Caisses primaires d’assurance maladie) de prendre en charge les frais de transport pour les élèves frontaliers et internes, refus par ces mêmes CPAM de prendre en charge les frais d’hébergement dans les internats scolaires spécialisés publics.
- Difficultés kafkaïennes concernant : le renouvellement des papiers d’identité, le droit de vote, le remboursement des médicaments et des prestations médicales/paramédicales hors établissements, vide juridique (les personnes concernées ne sont ni vraiment résidentes françaises, ni officiellement résidentes belges : la création d’un statut particulier est nécessaire, nous le réclamons depuis des années.)
L’AFrESHEB aide donc les familles à se dépêtrer de ces situations, et doit parfois aller jusqu’à les épauler dans des procédures juridiques.
Nous demandons aussi qu’un accord transfrontalier pour le handicap avec les Hauts-de-France et le Grand-Est, régions limitrophes, soit conclu, pour les Français et les Belges partageant le même bassin de vie.
Il y a bien des accords transfrontaliers pour la santé, les services d’urgence, la police… Et le partage du même bassin de vie, d’un côté ou l’autre de la frontière, ne pose pas de problème éthique.
Le problème éthique, c’est quand un enfant ou un adulte autiste est mis à l’isolement, sous contention, sous camisole chimique dans un hôpital psychiatrique pendant des mois, des années, et qu’on lui refuse l’orientation dans un établissement belge adapté.
Le problème éthique, c’est quand des enseignants spécialisés belges doivent apprendre à un enfant à se nourrir autrement qu’en lapant son assiette comme un animal car il a eu les mains attachées dans le dos des années, même lors de la prise de repas.
Le problème éthique, c’est quand on laisse une famille au bord du suicide collectif et qu’on lui refuse l’orientation dans un établissement belge alors que les listes d’attentes des établissements français se comptent en années, voire en décennies.
Le problème éthique, c’est quand on n’offre qu’une inclusion à l’économie, qui ne suffit pas pour les pathologies complexes qu’on accueille en Belgique et qui met en souffrance une personne, ses parents, une école, une société…
Le problème éthique, c’est quand on prend les Français en situation de handicap en Belgique pour des pots de fleurs qu’on rapatrie contre leur avis et ceux de leur famille dans des établissements inadaptés français après des décennies passées en Belgique.
Le problème éthique, c’est quand ils y meurent parce que l’établissement où on les a rapatriés n’est pas équipé/formé pour les gastrotomies, les sondes, la nourriture mixée.
Le problème éthique, c’est quand la personne survit et qu’on la ramène dans son établissement belge, et qu’elle décède en quelques mois du syndrome de glissement.
Le problème éthique, c’est quand l’établissement français n’est pas non plus équipé pour anticiper et gérer les troubles graves du comportement et qu’il transforme à coup de médicaments la personne en zombie, incapable de tenir assise sur une chaise.
Le problème éthique, c’est quand on ne prend pas l’avis des usagers, des familles, de leurs véritables représentants, experts du terrain, pour prendre des décisions qui impactent directement et parfois dramatiquement leur vie.
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