Handicap et inclusion scolaire : le capitole ou la roche tarpéienne des ambitions présidentielles ?

2007, débat d’entre-deux tours entre Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal :

Nicolas Sarkozy explique qu’il s’engage à scolariser tous les enfants en situation de handicap. Ségolène Royal accuse la droite d’avoir supprimé ce qu’elle avait mis en place à ce sujet et s’emporte. Nicolas Sarkozy lui répond qu’elle perd ses nerfs. C’est le tournant du débat, Royal perd non seulement ses nerfs, mais aussi les élections à ce moment-là.

2017, débat d’entre-deux tours entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen :

Emmanuel Macron consacre sa carte blanche au handicap, à l’inclusion scolaire et à l’arrêt de « l’exil » en Belgique (on aura pu constater à la fin de son mandat qu’il s’est contenté de dispatcher les maigres ressources déjà existantes de l’inclusion scolaire, passant alors du bricolage au saupoudrage – quant à la fin de « l’exil », il a fait élaborer, avec la complicité de sa secrétaire d’état au handicap Sophie Cluzel, un moratoire des places françaises en Belgique sans implanter de solutions équivalentes en France, compliquant encore plus la vie des personnes concernées et de leurs familles).

2022, Éric Zemmour, sur le même sujet de l’inclusion scolaire, suscite la polémique et se fait tacler par ses adversaires.
Décryptage.

L’éducation, bien mal en point, fait l’actualité : Éric Zemmour l’aborde. À propos de l’inclusion scolaire, il explique « penser qu’il faut effectivement des établissements spécialisés, sauf pour les gens légèrement handicapés évidemment ». […]

« Je pense que l’obsession de l’inclusion est une mauvaise manière faite aux enfants et à ces enfants-là qui sont, les pauvres, complètement dépassés par les autres enfants, et aux enseignants »  […] « Je pense qu’il faut des enseignants spécialisés qui s’en occupent. »

Devant le flot de réactions outrées, il tente de nuancer sa pensée par plusieurs tweets, puis une vidéo, que nous diffusons pour l’analyser, comme nous diffuserons les communications publiques sur le handicap de chaque candidat.

Vous remarquerez que lui aussi, parle de la Belgique… et de « l’exil forcé ».

Il relève que l’égalité est injuste. Effectivement, le droit fondamental des élèves, c’est l’équité.

Si nous sommes idéologiquement pour l’inclusion, les limites que nous lui connaissons sont qu’une inclusion forcée ne doit pas faire le malheur de l’élève. Car, pour certains élèves, avoir un programme allégé par rapport à celui de leurs camarades ne leur posera pas de problèmes, mais pour d’autres, cela sera source de dévalorisation et de souffrance. Pour résumer, nos revendications sont que ces limites s’appliquent au cas par cas, et NON en raison du degré des déficiences de l’élève, comme le prône Éric Zemmour, ce qui est là réellement discriminant.

L’inclusion scolaire se fait actuellement à l’économie, ce qui est incontestablement néfaste pour les enfants qui présentent des besoins spécifiques modérés à sévères et/ou complexes. Une politique d’ambition sera d’accorder les moyens pour la scolarité de ces élèves. Les familles doivent avoir le choix entre une éducation à l’école ordinaire ou plus spécialisée, mais en tout cas de qualité, et adaptée à l’élève, évoluant au fur et à mesure de son parcours.

Les enseignants spécialisés, comme le personnel paramédical et éducatif, peuvent tout à fait exercer dans une école ordinaire. C’est d’ailleurs une très bonne solution pour faire progresser TOUS les élèves, comme cela est bien expliqué dans ce reportage, que tous les candidats à l’élection devraient visionner :

Il y a quelques jours, nous avons envoyé à M. Zemmour, comme à tout candidat alors déclaré (et nous continuons à envoyer au fur et à mesure des nouvelles candidatures officielles : aujourd’hui, c’était Mme Taubira), notre questionnaire handicap

Mme Sophie Cluzel, montée sur ses grands chevaux, a bien sûr profité de l’occasion pour vanter au passage son bilan et l’action du gouvernement.

Bilan qui fut en la matière le plus désastreux que j’aie connu de tous les gouvernements, depuis 16 ans que je voyage dans le monde du handicap. Mais cela ne nous empêchera pas d’envoyer le questionnaire à M. Macron, quand il se sera enfin déclaré. Ni de relayer ses déclarations publiques sur le thème du handicap (et ses promesses, comme il y a 5 ans).

Nous le répétons : 12 millions de Français en situation de handicap, 11 millions d’aidants, le handicap peut être le sujet qui fait basculer l’élection, comme cela s’est déjà produit.

Pour l’AFrESHEB, La présidente, Isabelle Resplendino

Journée internationale des personnes en situation de handicap

Aujourd’hui,

C’est la journée internationale des personnes en situation de handicap.

Mais nous ne la fêterons pas.

Car il y a tant de mamans, en France et en Belgique, qui se voient accusées du Syndrome de Münchhausen par procuration, en raison de l’ignorance des médecins en ce qui concerne le handicap, et souvent l’autisme. Elles se retrouvent donc en situation d’errance médicale, et finalement accusées, signalées aux services sociaux.

Aujourd’hui, pour nous, ce sera encore la journée des signalements et des placements abusifs, comme tous les autres jours.

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Quand la France fait la leçon à l’Europe en matière de handicap

Dans le prolongement de la publication de sa feuille de route pour le handicap, la Commission européenne a ouvert une consultation en ligne afin de recueillir les contributions, attentes et propositions concernant cette feuille de route.

La France, qui exercera la présidence du Conseil de l’Union européenne du 1er janvier au 30 juin 2022 a apporté sa contribution officielle via son secrétariat d’État en charge du handicap.

Attention ! ceci est un avertissement. Ne pas boire ni manger en lisant ce qui suit ! Risque d’étranglement.

Introduction : L’inclusion des personnes en situation de handicap constitue une des priorités du quinquennat du Président de la République, M. Emmanuel Macron, depuis 2017. Les autorités françaises soutiennent donc pleinement le projet d’une nouvelle stratégie européenne plus ambitieuse en faveur des droits des personnes handicapées pour 2021-2030.

Voici, parmi les propositions de la France, les meilleurs morceaux :

Les autorités françaises demandent que soit intégrée la dimension d’égalité entre les sexes.

La France souhaite également mettre en évidence le phénomène de vieillissement de la population qui n’est pas mentionné.

Il faut ajouter que l’article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (relatif à la non-discrimination) affirme le droit des personnes handicapées à l’autonomie.

La France souhaite ajouter l’adjectif « pleine » (« full ») au terme « participation ». Et cette participation ne doit pas être limitée à la société mais être étendue à l’économie.

La feuille de route ne mentionne pas le rôle des proches aidants : pour la France, il est nécessaire de reconnaître leur engagement et d’inviter les pouvoirs publics à mettre en œuvre des mesures de soutien à leur égard.

La feuille de route ne mentionne pas la nécessité d’accroitre la capacité à disposer de données : la France souhaite également souligner l’importance de disposer de données ventilées par sexe et des statistiques ciblées, ne se limitant pas seulement à la participation et la consultation des personnes en situation de handicap au niveau européen.

Accessibilité : « adapter la société pour la rendre pleinement accessible » est une priorité qu’a rappelée la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées lors de la Conférence nationale du Handicap du 11 février 2020 ; et que les autorités françaises souhaitent voir aussi voir figurer dans la nouvelle stratégie européenne.

Concernant l’objectif d’accessibilité universelle, il pourrait être opportun de s’inspirer de la loi n° 2005-102 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées du 11 février 2005 concernant l’ «accès à tout pour tous».

Le droit à une qualité de vie décente et à une vie en autonomie : la France est particulièrement attentive à donner aux personnes en situation de handicap le pouvoir d’agir. Cela passe par l’amélioration de l’accès aux droits, leur renforcement et la simplification des démarches.

les autorités françaises sont sensibles au renforcement de la participation des personnes en situation de handicap et de leurs représentants aux processus de décisions.

Pour permettre une éducation inclusive, l’enjeu majeur est d’en donner l’accès à chaque élève, tout en garantissant des adaptations nécessaires à la réussite de son parcours.

Coopération internationale et mainstreaming : la France souhaite insister sur la nécessité d’échanger des bonnes pratiques à l’échelle européenne et internationale.

Il semble nécessaire pour les autorités françaises d’indiquer qu’un dialogue structuré doit être engagé avec les associations représentatives des personnes handicapées et de leurs familles. Cela assurera une consultation étroite et une participation active de ces personnes, par l’intermédiaire des organisations qui les représentent comme le prévoit l’article 4 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées.

Aller plus loin :

Lire la contribution de la France à la feuille de route handicap de l’Union européenne. Génial ! Quand est-ce qu’on impose ça en France ?

Note d’humour : L’UE a pris ses précautions avec cet avertissement :

Quand le gouvernement et les associations gestionnaires écartent délibérément les experts du handicap.

Le 5 octobre 2020, une lettre de mission de Sophie Cluzel, Secrétaire d’État chargée des personnes handicapées, désignait Mme Cornu-Pauchet pilote de la prévention des départs non souhaités des Français en Belgique.

Dans cette lettre, il était stipulé notamment : «… vous veillerez à : construire une relation de travail de qualité avec les associations représentatives des personnes en situation de handicap et les personnes elles-mêmes, ainsi qu’avec les organismes gestionnaires d’établissements et services médico-sociaux dont le concours sera nécessaire pour tenir un haut niveau d’ambition. »

Dès que nous avons pris connaissance de cette lettre le mois dernier, nous avons donc proposé la participation de l’AFrESHEB ASBL (Association pour les Français en situation de handicap en Belgique, association sans but lucratif) à Mme Cornu-Pauchet.

En effet, notre connaissance des deux systèmes, et particulièrement du belge, depuis des années, fait de nous le seul véritable expert de ce que viennent chercher en Belgique les Français, que ce soit au niveau de l’enseignement spécialisé et intégré, ou des établissements médico-sociaux.

La présidente de l’association siège depuis encore bien plus longtemps dans les groupes de travail des gouvernements belges, que ce soit à l’enseignement ou au handicap, et sous le quinquennat français précédent, les groupes de travail franco-belges sur l’accord-cadre franco-wallon (c’est elle qui avait obtenu que les associations y participent) et les groupes français pour la création des Unités d’enseignement en maternelle autisme, qu’elle avait obtenue grâce au relais de son programme par le précédent député des Français du Benelux, Philip Cordery.

Sous le ministère wallon du handicap d’alors, celui de Maxime Prévot, elle avait participé aux travaux de l’arrêté qui a relevé drastiquement les normes pour les établissements accueillant des Français, ainsi qu’au référentiel qualité pour tous les services handicap wallons. Elle siège également au Conseil supérieur des élèves à besoins spécifiques et a participé à de nombreuses réunions aux cabinets des Ministres de l’Éducation qui se sont succédé à la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Mme Cornu-Pauchet n’a pas donné suite à notre proposition de participation, ce que nous déplorons, car, comme disait un proverbe marocain : « Ce que tu fais pour moi, si tu le fais sans moi, tu le fais contre moi ».

Nous ne connaissons que trop la raison de cette mise à l’écart. Il s’agit de ne pas faire s’écrouler la communication du gouvernement français, qui assure avoir arrêté l’exil en Belgique alors qu’en fait il a suspendu pratiquement toutes les orientations sans créer les solutions équivalentes en France. Les familles doivent le plus souvent se contenter de solutions partielles, inadaptées, voire plus éloignées que la Belgique (par exemple pour un enfant parisien, un établissement dans le sud-ouest de la France). Il est évident que la participation de l’AFrESHEB à un groupe de travail concerné ferait éclater le mensonge.

Mais ce n’est pas tout : le 26 octobre, la Fédération Sésame Autisme lance un message :

« Cette période d’urgence sanitaire est compliquée pour les personnes autistes et leurs familles. Elle l’est d’autant plus pour toutes les personnes autistes hébergées dans des établissements belges et leurs familles qui n’ont eu d’autres choix que cette solution belge. Un groupe de familles s’est réuni au sein de la Fédération Française SESAME AUTISME afin de se faire entendre auprès des pouvoirs publics, créant le “Groupe France-Belgique”. Ce groupe demande que soit prise en compte la spécificité de cette situation transfrontalière en cette période de crise sanitaire, mais pas seulement. En effet, c’est quotidiennement que l’exil de nos protégés exilés pose problème. Nous souhaitons vous faire connaître ce groupe “France-Belgique”, afin que les personnes dans la même situation nous rejoignent. N’hésitez pas à venir vers nous pour nous faire connaître votre situation et/ou celle de votre enfant actuellement accueilli en Belgique. Nous attachons une importance fondamentale à ce que les voix de ces personnes exilées et celles de leurs familles soient entendues. Christine Meignien, Présidente de la FFSA »

L’AFrESHEB a donc proposé son aide. Mais, pas plus que le gouvernement français, la fédération Sésame Autisme n’en a voulu. Et, pour tout dire, cela ne nous étonne guère.

Sauf quelques idéalistes, les associations gestionnaires, qui voudraient bien récupérer les 500 millions d’euros que la France envoie chaque année en Belgique, sont cependant promptes à s’y débarrasser des dossiers les plus compliqués : personnes avec de lourdes déficiences, des troubles du comportement importants, des comorbidités…

La participation de l’AFrESHEB pourrait bien sûr là aussi, révéler ce double discours.

Nous espérons nous tromper et que, suite à ce message, nous serons invités par Mmes Cornu-Pauchet et Christine Meignien. Sans cela, il faudra bien se rendre à l’évidence sur le fait que nous sommes dans le vrai.

Edit : Le groupe de Familles “France-Belgique” nous a contactés. C’est donc avec grand plaisir que, dès que les conditions sanitaires le permettront, nous collaborerons.