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Rencontre avec Sophie Cluzel

Vendredi 17 septembre 2021, Sophie Cluzel s’est rendue dans le département du Nord pour un point d’étape du moratoire des places pour les Français en situation de handicap en Belgique.

À 9h45, nous avons participé à la table ronde sur la prévention des départs en Belgique.

La table ronde commençait par un point d’étape sur la déclinaison régionale du plan de prévention des départs en Belgique, puis se poursuivait par des échanges et débats avec les parties prenantes, dont l’Agence régionale de santé (ARS), le Conseil Départemental, les députés, la maire, la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH), les associations de familles et les organismes gestionnaires du territoire.

Le recensement des Français en établissements belges de 2020 n’est pas terminé, en raison, en partie, de la crise pandémique. Nous avons donc eu un rappel des chiffres au 31 décembre 2019 : 8233 personnes en situation de handicap (6820 adultes et 1413 enfants) sont prises en charge dans 227 établissements wallons.

chiffres français de belgique

(Nous avons toutefois fait remarquer plus tard que, comme d’habitude, ceci ne concerne que les enfants hébergés en établissements médico-sociaux (instituts médico-pédagogiques, IMP), conventionnés avec la France, et pas les enfants transfrontaliers (environ un millier) ni les enfants hébergés dans les internats scolaires spécialisés publics (environ 500). La plupart des enfants hébergés dans les IMP sont aussi scolarisés aussi dans l’enseignement spécialisé belge.)

En arrivant sur site (un établissement de l’APAJH – Association Pour Adultes et Jeunes Handicapés), nous avons pu constater que celui-ci était formé de plusieurs maisons ressemblant à des habitations typiques de la région, dans un beau cadre de verdure très bien entretenu. On aurait dit une résidence de jolis logements, mis à part que, pour plusieurs bâtiments, de nombreuses fissures dans les vitres des fenêtres témoignaient que cet organisme n’hésitait pas à accueillir des personnes avec des troubles du comportement, ce qui est assez rare pour le souligner (et souvent les raisons de l’exil en Belgique, beaucoup d’établissements français n’étant pas préparés à accueillir cette population).

Dès lors, ce qui avait été mis en place par cet organisme pour répondre aux appels à projets lancés dans le cadre de « l’arrêt des départs contraints en Belgique » ne manquait pas de motivation ni de courage. Il a été souligné cependant qu’il leur était difficile de recruter du personnel soignant, si celui des éducateurs et des aides médico-psychologiques (AMP) ne faisait pas défaut. Un bémol que nous mettrons est aussi que les postes les plus nombreux sont ceux des AMP, loin devant ceux des éducateurs spécialisés…

La secrétaire d’État Sophie Cluzel a d’abord naturellement encensé l’action du gouvernement sur sa politique du handicap en général et son moratoire sur l’exil belge en particulier. Elle a parlé des problèmes de l’établissement de Taintignies comme un « choc » qui les avait fait réagir et prendre conscience de la réalité des dérives des établissements belges, de leur « démarche commerciale », en disant qu’ils démarchaient les hôpitaux français pour leurs résidents et justifiant le moratoire via ces raisons.

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(Lorsque nous avons pris la parole, nous avons expliqué la dérive de l’établissement de Taintignies par le loyer très élevé que le propriétaire faisait payer à l’association, ne laissant pas assez de marge financière pour pouvoir convenablement encadrer les résidents. Il s’agit d’un problème récurrent en Belgique que nous espérons voir pris en compte par le gouvernement wallon ; nous y travaillons. Nous avons rappelé que depuis 2018, un arrêté auquel nous avons participé a relevé fortement les exigences pour les établissements accueillant les Français, comme nous avons participé à un excellent référentiel qualité[1] de l’AViQ (Agence pour une vie de qualité, organisme contrôlant ces établissements et les établissements pour les Belges). Ces explications ont d’ailleurs reçu l’assentiment de M. Canler, Directeur Général-Adjoint de l’Agence Régionale de Santé (ARS) des Hauts-de-France.

En ce qui concerne le démarchage, nous avons aussi informé les officiels – très étonnés de l’apprendre –  que les responsables des hôpitaux psychiatriques venaient d’eux-mêmes aussi en Belgique prospecter, conscients que l’hôpital psychiatrique n’est pas un lieu de vie pour une personne en situation de handicap.)

Sophie Cluzel a repris plusieurs fois ses interlocuteurs (ARS, MDPH, Conseil départemental, APAJH…) sur le vocabulaire, préférant « maisons » à « unités de vie », pour rester dans la dimension inclusive, et demandant d’expliquer les acronymes (MAS : maison d’accueil spécialisée – FAM : Foyer d’accueil médicalisé)…

Au début, nous pensions que c’était pour que l’assistance entière puisse comprendre et sans doute l’était-ce ; mais seulement en partie, car nous nous sommes aperçus, au fur et à mesure que se déroulaient les entretiens, du peu de culture du médico-social de Sophie Cluzel, ce qui n’a pas manqué de nous étonner : elle venait quand même du milieu associatif, ayant été présidente, il est vrai, d’associations pour l’inclusion scolaire. Mais elle fut aussi administratrice à l’UNAPEI (Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis), peut-être uniquement en charge du scolaire ?

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Mme Cluzel a bien rappelé la notion d’inclusivité pour justifier qu’elle ne ferait pas ouvrir de nouvelles places, car, pour elle, les solutions doivent être apportées dans le milieu de vie. Connaissant notre population : des personnes souvent sévèrement touchées, nous ne pouvons accepter de faire reporter la charge perpétuellement sur une famille, souvent des parents vieillissant, voire la fratrie quand ces parents décèdent.

Mais là encore, quand fut évoqué le cas d’un jeune homme autiste sévère avec de très gros troubles du comportement qui a été accueilli en urgence par la structure, Mme Cluzel a demandé quand est-ce qu’il pourrait travailler… Grand blanc du côté des représentants de l’établissement.

Nous avions, il y a quelque temps, critiqué Sophie Cluzel pour sa formule « nul n’est inemployable », mais nous avons maintenant cru comprendre qu’elle l’utilise peut-être plus par méconnaissance du handicap profond que par volonté de faire accepter la politique de l’inclusion à l’économie du gouvernement. Du moins est-ce notre impression.

Pire : elle a demandé ce que signifiait l’expression : « MAS à domicile » ! C’est pourtant une mesure-phare de la réponse à l’exil en Belgique !

Nous nous doutons bien que ces intervenants n’assureront pas, ou alors très rarement, une prise en charge 24h/24, comme dans une MAS… ce qui fait qu’on mettra encore la famille largement à contribution ! Et que la ministre ne soit pas au courant de ce qui se passe dans ses chantiers nous laisse sans voix.

Mme Cluzel a aussi parlé des 90 millions pour fournir des solutions en France contre l’exil en Belgique, de l’action du gouvernement pour l’école inclusive, de la formation au handicap des enseignants.

(Lorsque nous avons pris la parole, nous avons rappelé que ces 90 millions étaient pour 3 ans, donc 30 millions par an, bien peu en regard des 500 millions qui partent chaque année en Belgique. Nous avons dit aussi que la formation au handicap des enseignants, c’est très bien, mais qu’il faudrait penser à créer un tronc commun de formation initiale et continuée entre l’enseignement et le médico-social, un lexique commun, afin d’éviter l’écueil de l’acculturation. Nous pensons avoir soufflé une bonne idée à l’équipe ministérielle, espérons qu’elle ne reste pas un vœu pieux !).

Nous avons également dit : que le moratoire c’était très bien, mais qu’il y avait un problème de temporalité : avoir fait le moratoire AVANT de créer les solutions en France.

Mme Cluzel a dit que c’était en même temps. M. Canler a dit que le moratoire se limitait aux places occupées, et donc, quand une se libérait, elle pouvait être reprise. Nous avons rappelé les chiffres : 350 demandes annuelles pour 200 places se libérant = 150 familles qui restent sur le carreau.

Table ronde cluzel

Nous avons rappelé :

  • Que le moratoire était censé stopper les orientations non désirées, mais qu’il stoppe aussi les voulues ;
  • Que des enfants français scolarisés en enseignement spécialisé belge lapaient leur assiettes comme des chiens car ils avaient été pendant des années attachés, les mains derrière le dos, et que les enseignants avaient dû leur apprendre à manger avec les mains et les couverts ;
  • Que nous avions sorti des adultes autistes d’Unités pour Malades Difficiles : que ce n’était pas leur place ;
  • Que nous avions des cas de mères isolées atteintes d’un cancer et qu’on leur refusait la Belgique sans solution en France ou alors très partielles ;
  • Que quelques heures par semaine ne suffisent pas pour des handicaps lourds, complexes, des troubles du comportement, des comorbidités, des syndromes génétiques avec de multi-affections, population qu’on retrouve en Belgique ;
  • Que nous avions des parents qui ont vendu leur maison, quitté leur travail, pour venir du sud au nord de la France afin de scolariser leur enfant en Belgique ;
  • Que nous avions des élèves en plein cycle de primaire à qui on refuse de prolonger le transport en Belgique,
  • Que nous avions des élèves en secondaire qui suivaient des formations professionnelles, et qu’on interrompait pour la même raison leurs études…

Mme Cluzel a affirmé que si l’orientation en Belgique était refusée, que ce soit pour une solution équivalente en France. Nous verrons si cela va convaincre la CDAPH (Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées) à laquelle nous allons très bientôt assister une famille du Nord contre le refus de renouvellement de transport pour un écolier à plein temps en Belgique, pour une décision de scolarisation à mi-temps en France.

Quant aux établissements conventionnés, du fait du moratoire, s’ils n’ont pas de place libre, solutions en France ou pas, l’orientation en Belgique ne servira à rien…

Enfin, nous avons repris la parole pour rappeler qu’il y a des parents qui se sont vu refuser l’orientation en Belgique alors qu’ils habitaient à 15 km de l’établissement demandé. Nous avons donc plaidé pour des accords transfrontaliers, comme il en existe pour la santé, la police… afin que Belges et Français puissent choisir de chaque côté de la frontière pour l’établissement qui leur convient, entre distance et prestations. Effectivement, le ministère et l’ARS allaient se pencher sur la question.

À suivre donc…


[1] Référentiel qualité régissant les services de l’AViQ. Pour accéder à sa version électronique, cliquer ici. puis : 1) Choisir le mode d’authentification « espace public » 2) Cliquer sur « Formulaires AVIQ » dans le menu de gauche 3) Cliquer sur « Référentiel Qualité».